La trilogie de Beckett (3/3) : L’Innommable

Ainsi s’achève la trilogie, avec ce nom qui n’en est pas un, et qui seul peut désigner le narrateur de cet ultime roman. Après le béquillard rampant et le pieutard mourant, voici la chose, l’indéterminé, la voix dans le noir. Le récit n’existe plus qu’en lui-même, pour lui-même, n’existe plus que pour se taire, enfin.

S’il est un mot pour désigner l’univers de Beckett, c’est sans doute « gris ». A la fois comme mélange du noir et du blanc, du tragique et du comique, de l’absurdité de la condition humaine et du merveilleux de son imagination ; à la fois aussi comme non-couleur.

Beckett « écrit ce qui l’empêche d’écrire »

L’écriture de Beckett est une plongée toujours plus profonde dans le vide, dans l’attente, l’attente de rien. Pour citer Evelyne Grossman : Beckett « écrit ce qui l’empêche d’écrire ». Ses personnages, ses créatures, devraient être des alter egos, des compagnons ; mais il ne parvient à voir que des pantins dont les fils lui ont échappé et qui bougent toujours, malgré lui, contre lui, à la fois détachés de leur créateur et prisonniers d’un contrôle total. Celui du noir, de « eux » dans ce noir, ou dans un autre. La voix qui n’est pas la sienne.

Si cet univers beckettien est (trop) brièvement décrit ci-dessus, c’est parce que L’Innommable condense à lui seul tout ce monde, ou plutôt cette absence de monde, que Beckett a construit par son œuvre.

L’Innommable est une voix dans le noir qui ne s’appartient pas, qui est observée ou non, écoutée ou non par la même instance obscure qu’on entrevoyait déjà dans les deux premiers romans. Aucun temps, aucun corps, rien de tangible, rien de sensible, si ce n’est cette voix qu’il n’est certain ni d’entendre ni de produire.

Pour échapper à l’inéluctable folie, L’Innommable, comme Malone avant lui (qui le hante d’ailleurs comme d’autres anciennes figures) s’inventent des personnages, d’abord Mahood, puis Worm, masse informe, œil qui entend, M à l’envers… Il les devient tour à tour, avant de n’être plus rien, d’être à nouveau…

Le seul espoir de ce récit qui n’est que récit, c’est de finir, enfin.

Texte et illustration : Charlie PLES.

Il est possible de (re)lire l’épisode 1 et l’épisode 2

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