Junji Itô est le maître du manga d’horreur japonais. Ses œuvres ont récemment été rééditées chez Mangetsu, notamment son chef-d’œuvre Spirale (1998-1999). Plongée dans une œuvre vertigineuse et polysémique, dont le concept de base permet à son auteur une recherche graphique qui saura éprouver le lecteur.
Spirale est un ensemble de nouvelles qui forment un tout cohérent, et dont l’idée de base est tout bonnement géniale : la ville de Kurouzu est maudite par la Spirale, de nombreuses manifestations étranges ayant toutes un rapport avec cette forme pullulent dans la ville.
D’après ce seul motif de la spirale, l’horreur devient donc protéiforme, et Junji Ito peut déployer tout son arsenal de visions d’horreur. Le dessinateur est en effet connu pour son génie aussi inventif que graphique.
Mais ce motif de la spirale n’est pas choisi au hasard : figure de l’éternel recommencement, de l’infini, de la catabase, cette sombre omniprésence de la spirale suscite le vertige et la nausée propre à l’angoisse métaphysique, une peur sans objet défini, mais omniprésente.
C’est un inconnu radical et incompréhensible auquel on se confronte, une peur inconsciente, et la ville de Kurouzu ainsi que ce qui se cache dans ses profondeurs n’échappent pas à l’allégorie de la maison freudienne (d’ailleurs La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski est une œuvre qui peut venir à l’esprit en lisant Spirale).
Enfin, l’essai de Masaru Satô propose une lecture historique et économique de Spirale comme critique du capitalisme libéral et reflet d’un Japon en crise.
Bref, cette entité qui convoque une horreur aussi bien lovecraftienne que borgésienne permet un grand nombre d’interprétations et un florilège de cauchemars. Junji Ito n’est pas seulement un excellent dessinateur, c’est quelqu’un qui a une connaissance intime de la peur et qui sait comment en faire l’outil d’une interrogation quant à nos représentations du monde.
Une adaptation en série animée verra bientôt le jour, présentée par la chaîne Adult Swim.
Texte et illustration : Chalie PLÈS.