Rhinocéros est une pièce d’Eugène Ionesco créée en 1959 d’abord dans une traduction allemande, puis en 1960 en France. Cette fable animalière, qu’on attribue traditionnellement au « théâtre de l’absurde », est en fait une allégorie politique rappelant les heures les plus sombres de l’histoire.
Quand on lit Rhinocéros, on pense peut-être d’abord au Règne Animal, ce film de Thomas Cailley sorti en 2023 où une mystérieuse maladie transforme les gens en animaux… En réalité, une œuvre plus proche du propos de Rhinocéros serait plutôt La Ferme des animaux de Georges Orwell, ou La Peste de Camus. Car là où dans Le Règne animal, les métamorphosés incarnent une marge opprimée, les rhinocéros de Ionesco, tout comme les cochons d’Orwell ou les pestiférés de Camus, sont les hommes et les femmes qui s’abandonnent à une idéologie fasciste ; ici, le fascisme de Mussolini ou le nazisme d’Hitler.
La transformation en animal, qui plus est en animal dangereux, butor, tout de muscles et de carapace, symbolise parfaitement la déshumanisation des consciences abêties par une doctrine qui leur retire leur individualité, leur esprit critique…
Un à un, les personnages autour de Bérenger succombent à la maladie ; il est d’ailleurs tout à fait intéressant de constater que Ionesco est parvenu à rendre trouble la nature du mal. Entre maladie subie et choix délibéré et lâche, les rhinocéros sont désignés à la fois comme victimes d’un mouvement qui les dépasse, et comme collaborateurs coupables. Une ambiguïté historiquement concevable.
Seul Bérenger, en s’accrochant à ses idées humanistes, échappe à la transformation. Mais face aux argumentations a priori imparables notamment de Dudard, où s’exhibe toute la faillite de la raison et du langage manipulés, devenus tautologiques, Bérenger se sent faillir de plus en plus, au point qu’il semble parfois que c’est lui l’imbécile, le forcené, à ne pas vouloir se résoudre, à s’accrocher désespérément à des conceptions dépassées de l’existence et de l’humain.
Après tout, pourquoi ne pas être rhinocéros ? On n’a jamais essayé…
Texte et illustration : Charlie PLES.