Sarinagara est un livre de Philippe Forest qui mélange récit autobiographique, récits de la vie d’artistes japonais et essai. À travers la vie d’un poète, d’un romancier et d’un photographe japonais, Forest aborde sa propre vision de l’art, en particulier de l’engagement de l’artiste au monde.
Sarinagara relate par fragments le voyage de Forest et de sa femme en Asie après la mort prématurée de leur fille. Le deuil est une préoccupation majeure de l’écriture de Forest, le roman répondant selon lui à l’appel du réel qui se manifeste dans le désir et dans le deuil, tendus vers le même objet inaccessible. L’écriture est la tentative d’accéder à ce reste.
Il est difficile de déterminer comment Forest se positionne par rapport aux figures d’artiste dont il relate la vie au milieu des fragments de son voyage. Tous trois apparaissent comme des personnages amoraux, reclus du monde, ou en tout cas dépourvus d’empathie à l’égard de tout ; qu’il soit ermite, indifférent ou profondément méditatif, l’artiste japonais y est dessiné comme un être à part du monde.
La partie du livre la plus terrible est sans doute celle de la vie du photographe Yosuke Yamahata, qui se rendit à Hiroshima le lendemain de l’explosion de la bombe atomique pour y prendre des clichés aujourd’hui célèbres ; Forest le dépeint comme errant au milieu des loques humaines déjà devenues leurs propres fantômes, le regard vide, n’adressant ni aide, ni parole, simplement une pression de son doigt sur le déclencheur de son objectif. Sidération ou véritable indifférence ? Le texte n’est jamais clair. L’artiste et l’art, toujours impénétrables.
Sarinagara est en tout cas l’expression d’une souffrance terrible ; celle d’un écrivain face au monde qui s’est manifesté à lui dans toute son absurdité, et qui ne trouve d’autre échappatoire au réel que dans sa capture, sa mise à distance.
Texte et illustration : Charlie PLES.
Année de publication : 2004. 352 pages.