Le bagne des Annamites, ruines d’un empire

Nuit du 9 février 1930, Yên Bay, province du Tonkin, Viet Nam. Le parti nationaliste, le Viet Nam Quoc Dan Dang, organise des émeutes contre l’occupation coloniale française. Des centaines de Vietnamiens sont arrêtés pour raison politique. Au même moment en Guyane, une entité géographique est créée : l’Inini, recouvrant la jungle de Guyane.

Le gouverneur d’Indochine veut se débarrasser de ses prisonniers politiques. Celui de Guyane a besoin de main d’œuvre. Avec l’accord du Ministère des Colonies, 538 individus sont déportés le 17 mai 1931 depuis le Vietnam pour Cayenne. « On nous appelle Annamites, alors que nous ne venons pas tous de la région d’Annam », écrit un détenu dans son journal de bord. Ainsi est né le bagne des Annamites.

  • Les prisonniers envoyés au bagne le sont souvent pour des raisons politiques

Les Vietnamiens ne sont pas les seuls individus déportés par la machine coloniale. Des tirailleurs sénégalais, corps militaire créé en 1857, sont également envoyés pour les surveiller. Ils vivent dans des conditions à peine plus salubres que les prisonniers. Les latrines sont à l’air libre. Les cages sont minuscules, organisées de manière à ce que les gardiens puissent patrouiller sur les toits tout en surveillant les détenus. Les relations entre détenus et tirailleurs sont tendues. « Certains tirailleurs nous maltraitent […]. Ici, ils n’ont aucune attache. Ils veulent rentrer chez eux pour voir leur famille. Ils nous reprochent leur situation », écrit un prisonnier.

Le bagne des Annamites est particulièrement dur. Si celui des îles du Salut, au large de la Guyane, compte des cellules d’isolement de cinq à six mètres carrés, celles des Annamites ne font que deux mètres carrés. Même l’inspecteur des Colonies, envoyé par le ministère en 1936, est choqué par la sévérité des punitions.

  • Les conditions de vie dans les bagnes guyanais sont déplorables

Pour les prisonniers libérés, le retour au pays reste un rêve lointain. La règle du doublage oblige tout ancien détenu du bagne à s’occuper de terres agricoles sur le territoire de l’Inini, pendant une durée égale à celle de son enfermement. Si celui-ci a dépassé huit ans, l’ancien détenu doit rester à perpétuité dans l’Inini. De cette manière, l’État français a pu peupler et mettre en culture une jungle dans laquelle aucun métropolitain ne voulait s’installer.

Il reste bien des bagnes en ruine en Guyane. Étudier leur histoire, c’est comprendre un peu la brutalité d’un empire colonial et les cicatrices laissées au présent.

Texte et images : Mathis POUPELIN.

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