Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le roman Lolita de Nabokov a fait scandale à sa publication en 1955 ; l’histoire d’un homme amoureux d’une pré-adolescente de douze ans peut difficilement être reçue sans susciter des réactions. Un roman formidable incompris par les polémistes.
Le personnage principal, du nom ridicule et faux d’Humbert Humbert, souffre d’une fascination pour les « nymphettes », ces jeunes filles à peine entrées dans la puberté mais qui dégage déjà une forte féminité : Humbert Humbert se plaint de succomber à leur pouvoir… en bref, il se place plus ou moins consciemment en victime.
C’est sans doute l’une des raisons qui expliquent que Lolita fit scandale. L’autre doit être le personnage de Lola dite « Lolita », qui se complaît apparemment dans cette situation, et qui, dans une scène terrible, va jusqu’à accomplir elle-même l’inceste.
Lola est un personnage complexe, bien plus que ne l’est au fond Humbert Humbert ; si celui-ci, dans son désir criminel, veut arracher les fillettes à leur enfance (dans le cas de Lolita, il s’agit également pour lui de rejouer son idylle de jeunesse fantasmée avec une précédente « nymphette » qu’il s’imagine avoir été son grand amour manqué), Lola, elle, ramène l’adulte en enfance.
En effet, ayant connu sans les reconnaître de multiples abus, notamment en colonie de vacances, Lola conçoit l’acte sexuel comme un jeu d’enfant, auquel elle prétend initier son beau-père. Le drame de Lolita, c’est celui de l’innocence perdue qui, pour tenter de se retrouver, plonge toujours davantage dans sa souffrance en croyant à une rédemption possible, en croyant surtout, et c’est là le plus tragique, à sa culpabilité.
Nabokov, avant beaucoup de ceux qui l’ont avili, avait compris le fonctionnement de la perversité des hommes, mais également celui de la souffrance, non seulement des petites filles, mais de toutes les femmes victimes de violences sexuelles.
Texte et illustration : Charlie PLES.