Le métro a la langue acérée

Topographie idéale pour une agression caractérisée (1975) est un roman de Rachid Boudjedra qui relate le périple d’un jeune immigré dans le métro de Paris ; écriture labyrinthique, thème sombre et déstructuration de l’espace et du temps, ce roman est difficile, comme la situation qu’il met en lumière.

Il ne s’agit pas d’un roman à suspense : le titre annonce d’emblée le destin tragique du personnage qui ne sera jamais nommé et dont l’identité disparaît, engloutie dans les couloirs tortueux du métro et d’une langue étrangère qui ne l’accueillera jamais et qui au contraire fera tout pour le plonger dans l’errance et le perdre définitivement.

Car la langue de Boudjedra, dans ce livre, imite les dédales des couloirs du métro, le froideur du sol, des murs, et des regards des gens, environnement obscur, pays des merveilles aseptisé, où ne semblent animées d’une vie inquiétante que les figures des affiches publicitaires qui pullulent sur les murs et semblent hanter la conscience du personnage.

Une langue qui dépersonnalise, qui arrache la mémoire et défigure le temps

C’est une langue qui dépersonnalise, qui arrache la mémoire, défigure le temps, écrase l’espace ; le personnage n’a plus sa voix propre pour raconter son histoire, que nous ne lisons qu’à travers le récit d’enquête d’un inspecteur qui n’y voit qu’une affaire de plus à classer, à travers encore les slogans publicitaires, les articles de journaux où il vient figurer en tant que chiffre supplémentaire parmi les victimes d’actes racistes mensuels.

Illustration bluffante de l’angoisse et de la terreur que doit ressentir l’étranger

C’est un roman dur, qui bouscule le lecteur, qui doit se frayer un chemin dans cette langue opaque, au flux intarissable, à la syntaxe démente, polluée. Une illustration bluffante de l’angoisse et de la terreur que doit ressentir l’étranger dans un monde qui ne lui adresse la parole que pour l’engloutir dans l’obscurité de sa bouche, celle du métro, et celle, pleine de dents, de la haine.

Texte et illustration : Charlie PLES.

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