Présenté en septembre 2023 lors de la 80ème édition de la Mostra de Venise, et lauréat du Lion d’Argent, le nouveau long-métrage de Ryūsuke Hamaguchi Le mal n’existe pas, se joue des frontières entre les genres. Le cinéaste signe, sous la forme d’un western écolo-musical, un essai sur l’aliénation des ressources naturelles.
Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki. Ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins un échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois.
Les personnages ne sont que des tâches de couleur
« Mon monde serait totalement bouleversé », soupire une jeune restauratrice, qui risque de voir l’eau qu’elle utilise pour ses udons, salie par les rejets de la fosse septique du glamping (contraction de « glamour » et « camping »). Le mot « monde » a un sens très fort dans le cinéma d’Hamaguchi : il scrute, épie, guette, déplie les mondes, les fait se rencontrer.
Le film creuse l’écorce de nos émotions, les décortique, les donne à voir. A l’image des arbres dont Hana trouve systématiquement le nom, ou apprend à les connaître et les apprivoiser. L’apprivoisement est au centre du film. Celui, d’abord, de la nature par l’homme, dans le respect et l’équilibre mais aussi et surtout celui des hommes entre-eux.
On ne dompte ni la nature, ni un homme qui vit en harmonie avec la nature
L’image du film (signée Yoshio Kitagawa) magnifie sans cesse les paysages, faisant des personnages de simples tâches de couleur dans les reflets, halos et matières d’une nature encore intacte. Le travail de répétition des images, des motifs musicaux amène la question du cycle, du renouvellement, et laisse entrevoir un espoir.
La précision et le caractère cristallin du son, la méticulosité de son traitement et la musique de Eiko Ishibashi font du film une ode incandescente à la lutte silencieuse, à l’amour du sauvage.
Sacha FESTY.
« Le Mal n’existe pas » de Ryūsuke Hamaguchi, en salles depuis le 10 avril 2024. Durée : 1h46.