La recette littéraire de Karine Tuil s’essouffle-t-elle ?

Auréolée d’un beau succès  pour son roman « Les choses humaines » paru en 2019, Karine Tuil peine à se renouveler avec “La décision”. Toujours intéressante dans sa radiographie des failles de la société, sa recette romanesque ne commencerait-elle pas à lasser ? 

Alma, la narratrice du roman, est une brillante juge antiterroriste. Alors que son couple avec un écrivain goncourisé en chute libre commence à se déliter, elle fait face à un cas de conscience. Un homme est accusé  d’avoir rejoint les rangs de l’Etat islamique afin de préparer des projets d’attentats en France depuis la Syrie. Alma doit trancher sur sa culpabilité ou son innocence, alors même qu’elle entretient une relation amoureuse avec l’avocat de ce potentiel terroriste. Une bombe à retardement de plus sur des terrains amoureux et professionnel déjà minés. 

Si les précédents ouvrages de Karine Tuil étaient loués pour leur efficacité, les cent premières pages de La décision sont poussives dans la mise en place des personnages. Leurs liens familiaux  –  curieux mélange entre des pères soit terroriste d’extrême gauche ou rédacteur de la Constitution de la Vème République – sont peu crédibles. 

Cette densité permet à Karine Tuil d’évoquer de multiples thématiques identitaires et politiques. Ses livres s’inscrivent en effet dans le sillage du “romanesque du réel” (les centres de rétention administrative dans Douce France, la suspicion raciste dans L’insouciance). Depuis 2013, ses romans ont gagné en ambition et respectent la même recette littéraire à la lettre: des thématiques d’actualité – terrorisme, #MeToo – au cœur d’intrigues agrémentées d’histoires d’amour avec leurs lots de scènes de sexe. 

La décision témoigne de l’essoufflement – provisoire, espérons le –  d’une autrice talentueuse et importante

Sauf que cette fois-ci, la mayonnaise ne prend pas vraiment. Karine Tuil aborde comme souvent des sujets intéressants, telles que la pulsion de vie et la pulsion de mort dans nos sociétés, la diabolisation liberticide de l’ennemi au cours du processus judiciaire… Mais les ficelles romanesques – l’histoire d’amour ou l’ambiguïté sur les desseins de l’accusé – sont clichées et attendues.
En outre, certains tics d’écriture donnent l’impression de lire une dissertation d’étudiant en sciences politiques ou la tribune d’un éditorialiste : “j’étais révoltée contre l’immobilisme étatique, la lâcheté et l’aveuglement de la société”; ou encore « on traverse une grande crise de la démocratie. Il n’y a plus d’identité claire à gauche ». Un brin cliché et formaté ?

La décision témoigne de l’essoufflement – provisoire, espérons le –  d’une autrice talentueuse et importante. 

Ismaël EL BOU – COTTEREAU.

La décision (janvier 2022), éditions Gallimard, 295 pages.
Crédit photo mise en avant: © Thierry Le Fouille/SIPA.

 

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