« La Grande Chambre » : une pièce signée Fabienne Kanor

Écrite en 2013 et jouée en 2014, puis remaniée en 2023 pour sa parution en 2024, la pièce La Grande Chambre est un défi lancé à son auteure, la romancière Fabienne Kanor : écrire une pièce de théâtre au sujet de la traite transatlantique et dont l’action se déroulerait au Havre (Seine Maritime).

Aristide est un migrant clandestin venu du Sénégal. Il est accueilli au Havre par Dorylia, une prostituée issue d’une famille antillaise. Tout comme il a pris la mer, Dorylia a voyagé sur un bateau avec ses parents jusqu’à une terre promise : la France. En rencontrant Aristide, la jeune femme fait évoluer sa représentation de l’Autre et se reconnecte avec ses propres origines.

L’ombre d’une traversée éprouvante

La Grande Chambre, p. 11

Les embarcations clandestines par lesquelles le migrant parvient jusqu’en France s’inscrivent dans le sillage des bateaux négriers : l’auteure dresse ainsi un parallèle entre la traite des Noirs lors de siècles précédents et l’expérience douloureuse vécue par les migrants de l’époque contemporaine. Elle souligne ainsi le lien entre le racisme persistant dans la société française et l’esclavage de temps antérieurs. Précédents, antérieurs, mais non tout à fait passés et encore moins révolus.

La multiplication des perspectives

Plusieurs personnages gravitent autour de Dorylia et Aristide. La pièce de Fabienne Kanor déborde l’espace-temps de cette chambre au Havre qui constitue le décor de l’intrigue à travers une projection sur un écran pour faire entendre la voix de la mère d’Aristide au Sénégal, à la fois inquiète et fière du départ de son fils, mais aussi celle de la mère de Dorylia, Antillaise obsédée par l’idée de devenir ce qu’elle estime être une vraie Blanche et une vraie Française.

Un jeu subversif avec les codes du genre dramatique

Parmi ces protagonistes, une figure plurielle et étonnante se démarque : Yaya, qui change de rôle en fonction des scènes, tenant lieu de voix narratrice cernant l’intimité des personnages tout au long de la pièce, mais incarnant surtout à elle seule une bande d’employées qui s’enrichissent de la misère des clandestins et des malheureux. La manière dont l’auteure joue avec les conventions théâtrales, brouillant les genres littéraires à travers son texte, rappelle sa vocation première de romancière.

Texte et photos : Alex ALIX

Fabienne Kanor, La Grande Chambre, 2024, Caraïbéditions, 46 pages.

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