« Dans La familia grande, l’avocate Camille Kouchner brise le tabou de l’inceste. J’ai ici voulu témoigner de cette lecture et de son impact sur moi.
Je n’ai pas voulu lire ce livre à sa sortie, le 7 janvier 2021. En ce début d’année marquée par les restrictions sanitaires, je ne lisais presque plus.
Ma colère s’est intensifiée avec la publication de l’ouvrage de Camille Kouchner dans lequel elle accuse son beau-père, l’éditorialiste et politologue Olivier Duhamel, d’inceste sur son frère. Olivier Duhamel est une figure tutélaire de l’école dans laquelle j’étudie, Sciences Po. Impossible de ne pas le citer lorsqu’on prépare un exposé de Droit Constitutionnel. Lors de ma rentrée en première année, à la fin de l’été 2019, l’ancien directeur nous le présentait comme le repère moral, le gardien du temple : avec lui, nous “sommes entre de bonnes mains”. Les révélations de Camille Kouchner me scandalisent et me dégoûtent. Me reviennent alors les mots d’Olivier Duhamel prononcés lors de la conférence inaugurale de rentrée : « Faîtes l’amour et l’amitié ». On apprend rapidement que le directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, était au courant des accusations d’inceste et a préféré la lâcheté et le mensonge à la responsabilité.
Alors non, je ne voulais pas lire ce livre tout de suite. J’étais encore sous le choc, en colère et agacé de ceux qui pensaient que cette affaire pourrait ternir l’image de “Sciences Po”, comme si cela était plus important que le sujet de l’inceste en France, plus important que l’explosion de ce tabou et la libération de la parole et de l’écoute des victimes.
J’ai lu d’une La familia grande le 5 décembre 2021 d’une traite, comme en apnée, happé par la plume de Camille Kouchner et la déflagration de la révélation. Plongé dans la mécanique incestueuse de cette famille de la gauche caviar marquée par les suicides et les disparitions. Dégoûté par le déni et la cruauté de la mère pour qui il n’y a pas eu viol. Admiratif du courage de Camille Kouchner, de son frère et de sa tante Marie France-Pisier. Je ne sais même pas comment mettre des mots sur ce livre. “Epoustouflant”, “bouleversant”, sont des étiquettes trop vides et galvaudées pour décrire La familia Grande. Impossible d’en faire une « chronique » journalistique.
Olivier Duhamel n’ira pas en prison car ce crime est prescrit : « Vingt ans. Sinon, c’était vingt ans ». Le droit ne pouvant le condamner, ce roman peut être alors considéré comme sa prison. Qu’il y reste. »
Ismaël EL BOU – COTTEREAU.
La Familia grande de Camille Kouchner, « Seuil », 208 pages.
Crédit photo : Charles Kadri, CC BY SA 4.0.