Mohamed Mbougar Sarr : « Je n’ai jamais cherché la notoriété »

Mohamed Mbougar Sarr, lauréat du Prix Goncourt 2021 pour son roman La plus secrète mémoire des hommes, est de passage au Mans (Sarthe) pour deux jours. Mercredi 23 février 2022, avant sa rencontre avec les lecteurs et lectrices de la Fnac du Mans, l’écrivain a échangé avec des jeunes pigistes du webzine Vitav.fr au Centre Information Jeunesse de la ville du Mans. Jeudi 24 février, il animera un atelier d’écriture dans une classe du collège Albert-Camus et se rendra à la librairie Doucet.

Dans La plus secrète mémoire des hommes,vous fondez-vous un roman dans votre roman ?
C’est le principe de la mise en abîme. Le texte en question traite d’un texte en question qui traite d’un texte en question. C’est une stratégie en entonnoir. Ce procédé permet de créer un effet de trouble entre le réel et la fiction. Le côté méta (le roman qui parle du roman qui parle du roman) offre beaucoup de richesse dans la lecture et l’interprétation. Pour ma part, je parlais de littérature. Le fait de prendre un romancier comme héros de l’ouvrage donnait une belle occasion de faire écrire à cet écrivain un autre roman ou de lui faire vivre des aventures romanesques. Cela permet d’explorer plusieurs strates de récits.

« La construction d’un personnage est le fruit d’une synthèse »

Pourquoi avoir choisi de dédier ce livre à l’auteur malien Yambo Ouologuen ?
Cet écrivain a beaucoup compté pour moi, dans mes lectures. Il me donnait l’occasion d’explorer une construction littérature beaucoup plus riche. Son destin (l’histoire d’un romancier reconnu puis banni de la République des Lettres pour des accusations de plagiat) me permettait de revenir sur son texte. Cela me permettait de donner plus de relief à son histoire. Mon personnage s’inspire de Ouologuen, mais il ne s’agit pas de sa véritable histoire.

Pour créer vos personnages, vous êtes-vous inspiré de vous ou de vos proches ?
La construction d’un personnage est le fruit d’une synthèse. On met beaucoup de figures ou de notre quotidien dans un seul personnage. Il n’y a jamais de transposition complète. C’est en synthétisant que l’on permet de créer des personnages complexes. Et chacun peut ainsi s’y reconnaître. Pour ma part, je me projette dans tous mes personnages. Le jeu étant d’ouvrir plusieurs pistes et d’en brouiller beaucoup d’autres.

« Je trouve stimulant pour le lecteur que la langue ne soit pas figée »

Pourquoi passez-vous d’un langage soutenu à des références populaires ?
Il faut user de tous les spectres qu’offre la langue française. On peut utiliser un registre soutenu, érudit, mais parfois, un langage plus prosaïque, plus banal, voire vulgaire. Le jeu littéraire consiste à circuler entre ces différentes strates pour donner du rythme et du mouvement au récit. La langue n’est jamais figée et je trouve cela plus stimulant pour le lecteur.

Vous avez grandi au Sénégal et suivi vos études dans votre pays et en France. Comment ces deux cultures ont influé dans votre parcours ?
Il est difficile de faire un tableau sur les apports de La France et ceux du Sénégal, car tout cela fini par constituer une seule et même personne. Dans mon expérience d’écriture, ces deux espaces sont mêlés et s’expriment dans le même élan.

« Le Prix Goncourt change la vie, mais nous ne devons pas perdre de vue ce qui compte à nos yeux »

Qu’avez-vous ressenti en recevant le Prix Goncourt 2021 ?
De la joie, de la surprise, de la gratitude et le sentiment que tout cela arrivait brusquement. Mais je savais qu’il fallait apprendre à gérer la notoriété. Il faut avancer le plus simplement et ne pas perdre à l’esprit que c’est éphémère. Ce prix change la vie, mais il ne doit pas changer ce qui compte à nos yeux. On joue le jeu, même si je n’ai pas cherché cette notoriété. Et lorsqu’elle s’atténuera, je ne serai pas plus malheureux.

Vous dites qu’il est rare d’être compris en tant qu’écrivain. Avez-vous le sentiment d’avoir été compris par les médias depuis votre Prix ?
Lorsqu’on écrit, on a des intentions claires. À partir du moment où notre livre est un roman, il est ouvert à plusieurs lectures. Mais l’auteur doit accepter que le lecteur interprète son œuvre à sa façon. Ce n’est pas si grave de ne pas être compris en tant que romancier. Ce qui importe, c’est de donner la possibilité au lecteur de comprendre quelque chose.

« C’est un plaisir de revoir ma famille du Mans et de découvrir ce territoire »

Qu’est-ce que cela représente de venir au Mans et de revoir par la même occasion votre famille par alliance ?
Ça fait plaisir de retrouver des membres de ma famille, de découvrir leur ville et de rencontrer les lecteurs de ce territoire. Je ressens beaucoup de joie. Le fait d’être en famille y est pour beaucoup.

« Je suis sûrement un romantique du football »

Que vous inspire la victoire du Sénégal à la CAN (La Coupe d’Afrique des Nations) ?
Avec les joueurs de classe mondial que possède cette nation, j’attendais un jeu plus cohérent. La victoire de l’équipe nationale donne raison au sélectionneur Aliou Cissé. Le peuple sénégalais et les joueurs attendaient ce titre. Peut-être qu’au fond, l’essentiel est de gagner, quelle que soit la manière. Aliou Cissé a été pragmatique, mais je reste attaché à une certaine idée du jeu que je n’ai pas toujours trouvé dans cette équipe. Je suis sûrement un romantique du football.

Propos recueillis par Lucie, Méline, Imran, Claire et Mattéo.
Photos : Mamadi Sangaré.

La Plus Secrète Mémoire des hommes  de Mohamed Mbougar Sarr (Philippe Rey /Jimsaan/461 pages).

 

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