Les mots ; partage ou sans-partage ?

Le partage des mots est un récit autobiographique de Claude Esteban paru en 1990 dans lequel l’auteur fait l’étonnant témoignage des souffrances et questionnements dont il a été sujet en raison de son témoignage. Une réflexion riche sur la langue.

Il est généralement admis que parler deux langues est un avantage plus qu’un inconvénient. Pourtant, Claude Esteban a souffert de sa capacité à parler à la fois le français et l’espagnol. Cette souffrance était d’abord sociale ; ses camarades l’assimilaient à un « autre », qui n’était pas tout à fait leur semblable, ainsi Esteban a-t-il pu parfois se sentir étranger dans son propre pays.

Mais c’est surtout quant à sa relation au monde que le bilinguisme a été la source de terribles questionnements : en effet, les mots sont fondés sur un rapport entre signifiant et signifié : le signe est censé correspondre à la chose qu’il désigne. Or, lorsque l’on parle deux langues, on s’aperçoit de l’arbitraire du langage ; une même chose peut être désignée par plusieurs mots. Et ces mots, par leur acoustique propre, leur valeur esthétique, déforment la chose même, se l’approprient, l’aliènent.

Ainsi, le partage des mots se fait moins distribution cordiale que lutte à l’arrachée entre deux langues pour imposer sa conception du monde. Le jeune Esteban a été en proie aux lapsus, aux manques, aux interversions, ainsi que d’un sentiment d’irréalité. Puisque nous construisons la réalité par un langage de conventions, qu’en est-il de notre accès au réel ?

C’est finalement dans l’acceptation de chaque langue comme réalité propre qu’Esteban peut vivre pleinement dans son bilinguisme, en faisant de la poésie l’horizon inexploré de ce réel particulier que constitue une langue.

Texte et illustration : Charlie PLES.

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