Les esclaves oubliés de Tromelin : une BD captivante

Entre présent et passé, Sylvain Savoia redonne vie à une histoire oubliée dans un double récit passionnant.

Une aventure emprunte de réalisme

Au large de Madagascar, en 1761, un navire transportant des esclaves échoue sur un fragment d’îlot. Après avoir construit un radeau de fortune, l’équipage abandonne sur l’île les 80 esclaves, en leur promettant de revenir les chercher au plus vite ; d’ailleurs une lettre de marque leur est laissée comme gage de leur sincérité. Pendant quinze ans, les captifs vont tenter de résister à l’épreuve de tempêtes meurtrières.

L’ouvrage retrace à la fois le récit oublié de ces naufragés et l’expédition récente d’une équipe d’archéologues. Bien plus qu’une simple BD d’aventure, s’inspirant de l’œuvre Robinson Crusoé de Daniel Defeo (1719), c’est un récit complexe où passé et présent s’entremêlent. L’auteur met aussi bien l’accent sur l’histoire du naufrage que sur la survie du groupe à travers les yeux d’une jeune esclave. Il insiste également sur l’avancement des recherches scientifiques à travers le témoignage de l’auteur lui-même. La plume est maîtrisée et ce va-et-vient entre le présent et le passé tient le lecteur en haleine. Malgré la rareté des éléments retrouvés, la représentation qu’en fait Savoia illustre le quotidien de croyances, cultures et rituels de ce peuple malgache.

Un double récit passionnant

L’ouvrage trouve sa force dans les parallèles que fait l’auteur entre les deux époques narratives. Le déroulement se fait selon un même phasage, les personnages sont sujets à la même précarité : la soif, la fatigue et l’isolement. Tromelin devient alors le palimpseste* de ces deux expéditions, révélant la permanence et la force de cette nature hostile.

L’histoire du livre témoigne de la résilience d’un groupe d’humains désuni, qui n’a d’autre choix que de s’organiser pour survivre. Inlassablement, ils se relèvent, témoignant d’une énergie vitale qui dépasse leur condition d’esclave et montre le propre de leur humanité. Ainsi, comme une mise en abyme, l’auteur s’inscrit dans la même démarche que l’équipe scientifique de Tromelin sur place : redonner la parole à ces oubliés. Un récit captivant et complet, qui, en plus de montrer un pan inconnu de l’histoire coloniale, réussit à soulever des questions de notre relation à l’histoire et ses représentations.

Flavie MERGER.

Les esclaves oubliés de Tromelin de Sylvain Savoia, 2015, éditions Aire Libre Dupuis, 108 pages.

* Parchemin dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte.

 

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