L’autre qu’on adorait : de l’hédonisme au suicide

Finaliste malheureux du Prix Goncourt 2016, « L’autre qu’on adorait » est un roman sensible et émouvant dans lequel Catherine Cusset s’inspire du suicide d’un de ses amis. Entre oraison funèbre, tentative de « réparation » et élan romanesque, cet ouvrage est à (re)découvrir. 

Alcoolique et désargenté, Thomas se suicide à l’âge 39 ans dans une petite ville universitaire de Virginie dans laquelle il enseigne la littérature et le cinéma. Catherine Cusset utilise la deuxième personne du singulier pour retracer sur 22 années le parcours de cet « ami dont on n’a pas sauvé la vie ».

Comme Thomas dans « L’insoutenable légèreté de l’être » de Kundera, c’est un personnage solaire et romanesque. Un « être poétique », amoureux de Proust et de David Lynch , à la mélancolie parfois ombrageuse, rebondissant sans cesse face à ses échecs scolaires ou amoureux. Après avoir noué « une amitié érotique » avec la narratrice, il vivra quatre grandes histoires d’amour des deux côtés de l’Atlantique. Recalé de Normal Sup, il décroche Sciences Po, puis part étudier à Columbia. New-York l’émerveille et il décide d’y rester pour étudier la littérature et faire une carrière universitaire.

Mais cet « être doué pour la vie », cet hédoniste, est sans cesse rattrapé par des épisodes dépressif, par « cette humeur qui envahit ta vie telle une marée noire et tue en toi tout désir, ce vide qui t’engloutit comme des sables mouvants ». Petit à petit, il s’enferre dans une mécanique d’échecs cyclique. Il ne parvient pas à décrocher les postes de professeur qu’il souhaite, il croule sous les prêts bancaires et s’enfonce dans la solitude. Un an avant son suicide, il découvre sa bipolarité et comprend pourquoi il est ballotté entre des moments d’exaltation et des périodes sombres. Mais le diagnostic est posé trop tard. La fatalité tragique s’abat sur Thomas.

La plume ample et vivante de Catherine Cusset emporte le lecteur

« L’autre qu’on adorait » est tout sauf un roman macabre. La plume vivante et ample emporte le lecteur dans un roman d’apprentissage mâtiné de « campus novel », qui réunit influences française et américaine. Catherine Cusset ne manque ni d’humour (l’épisode de la gaffe de Thomas au stage à l’ONU) ni de recul critique sur elle-même (comment accéder à la « vie intérieure » des personnes à qui on dédie un livre ?).

L’oeuvre est aussi tissé de multiples références littéraires, notamment Proust et « ses fragments de temps qui échappent au temps »; ces interstices temporelles où se loge la vie véritable de Thomas.

Catherine Cusset refuse de qualifier son livre de « tombeau littéraire ». « L’autre qu’on adorait » fait revivre un homme incapable de s’accommoder d’une existence conformiste. Sa présence innerve ce roman vibrant.

Ismaël EL BOU – COTTEREAU.
Crédit photo de couverture : Francesca-Mantovani-editions-Gallimard.

« L’autre qu’on adorait » de Catherine Cusset, « Folio », 320 pages.

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