L’auteure d’origine guadeloupéenne Gisèle Pineau a été récompensée par plusieurs prix depuis la parution de son premier roman en 1993. En 2024, elle publie La vie privée d’oubli. L’histoire se déroule en 2021 : les deux jeunes Guadeloupéennes Margy et Yaëlle, amies d’enfance, s’impliquent dans un trafic de cocaïne en tant que body-packers pour échapper à la précarité.
Dans l’avion pour Paris, les capsules de drogue que contient le corps de Yaëlle s’ouvrent et la jeune femme fait une overdose. Hospitalisée, elle survit, mais est désormais hantée par une voix qui lui raconte l’histoire d’Agontimé, son ancêtre africaine réduite en esclavage dont la légende s’est perdue avec le temps.

Quête des origines
Depuis presque deux cents ans, l’esprit d’Agontimé veille sur sa descendance qui s’est disséminée à travers le monde. C’est donc l’occasion de raconter la vie de tous ces descendants. Ce pourquoi le récit est fragmenté sur le plan temporel. Entre Afrique, Antilles et Europe, l’éclatement est aussi spatial pour suivre les aventures de nombreux personnages qui semblent tout d’abord n’avoir rien en commun. Si le foisonnement de personnages peut sembler déroutant, le roman tisse peu à peu les liens qui les unissent, fédérant une lignée depuis la figure de cette ancêtre, Agontimé.

Transmission transgénérationnelle
Depuis Agontimé jusqu’à Yaëlle et autres personnages contemporains du roman, la filiation est principalement explorée à travers le destin de femmes. Les descendantes d’Agontimé se voient transmise la douleur du vécu traumatique de leur ancêtre. Cette transmission transgénérationnelle féminine des souffrances du passé se fait la métaphore, dans le roman, des névroses de la diaspora noire, héritière de l’esclavage, de la traite et de la colonisation. Ainsi, Gisèle Pineau entremêle étroitement et adroitement, à travers son récit aux facettes multiples, une histoire familiale à l’histoire collective.
Espoir de guérison
Faisant dialoguer le passé et le présent à travers le lien qui s’établit entre Yaëlle et Agontimé, La vie privée d’oubli cherche des possibilités de guérison à travers la redécouverte de l’histoire, en rompant avec l’amnésie et le silence dont sont frappés les drames intimes et collectifs, rongeant les familles et les peuples. En renouant avec ses origines, chaque personnage trouve sa place, faisant un pas vers l’apaisement et la réconciliation. C’est donc un roman étonnamment optimiste que propose Gisèle Pineau, avec un véritable dénouement.
Texte, illustration et photos : Alex ALIX
Gisèle Pineau, La vie privée d’oubli (2024), Philippe Rey, 400 pages.