Dans Vies mêlées de Manuela Sáenz, compagne de Simón Bolívar, et de Jonatás, esclave affranchie, Patricia Farazzi imagine la vie de celle qui a été désignée comme la « libératrice du libérateur », mettant ainsi en avant une figure méconnue et mal connue de l’histoire latino-américaine.
Repenser l’implication des femmes dans l’histoire
Manuela Sáenz a longtemps été réduite à son statut de compagne de Simón Bolívar, héros des luttes pour l’indépendance des colonies hispaniques en Amérique latine au XIXe siècle, contre la Couronne espagnole. Dans cet ouvrage, elle prend la parole pour remettre en cause toutes les rumeurs dépréciatives l’ayant environnée, de son vivant comme après sa mort. Manuela a partagé les rêves de Simón Bolívar et combattu à ses côtés. Elle a pourtant été bannie, puis oubliée. Patricia Farazzi, par son texte, invite à réhabiliter cette figure reléguée au second plan, condamnée à rester dans l’ombre.
Repenser l’émancipation de l’Amérique latine
Patricia Farazzi ne propose pas un récit de l’histoire de l’Amérique latine coloniale, mais une réflexion sur les bouleversements dont ce continent a été le théâtre à travers la subjectivité d’une actrice et témoin de ces mutations. Par la voix réinventée et le regard lucide de Manuela, elle interroge la liberté défendue par les indépendantistes comme Simón Bolívar dans un territoire où ceux même qui s’opposent à la domination espagnole autorisent voire perpétuent l’oppression religieuse, l’esclavage des Noirs, l’exploitation des indigènes. Ce n’est pas un récit glorificateur des actions des « libérateurs » que construisent la voix de Patricia Farazzi et celle, véhémente, de Manuela Sáenz, qui invitent plutôt à une relecture amère et critique de l’histoire.
Repenser l’écriture biographique
L’œuvre de Patricia Farazzi propose de retracer la vie d’un personnage historique en recourant à la métaphore du tissage pour mettre en scène cette reconstitution fictive de la figure de Manuela Sáenz. Contrairement à ce qu’annonce son titre, ce texte subvertit les codes de l’historiographie. S’y entremêlent en effet la voix de l’auteure s’adressant à son personnage et celle de Manuela mise en scène dans une entreprise de remémoration au cours des derniers moments de sa vie. Renonçant à décrire de manière austère les accomplissements d’un personnage historique, Patricia Farazzi propose plutôt une œuvre empreinte de fiction, de poésie et de sensibilité.
Texte et photos : Alex ALIX.
Patricia Farazzi, Vies mêlées de Manuela Sáenz, compagne de Simón Bolívar, et de Jonatás, esclave affranchie, Éditions de l’éclat, 2023, 140 pages.