Pourquoi (re)lire les Faux-Monnayeurs ?

Il y a certains livres qui sont comme de vieux amis et qui méritent que l’on y revienne. On a alors le plaisir de les découvrir à nouveau tout en constatant avec amour qu’ils n’ont pas changé. Les Faux-Monnayeurs d’André Gide fait parti de ces madeleines de Proust. 

 Gide a expérimenté une forme littéraire où la fiction ne suit pas à proprement parler un personnage, mais tout un complexe de relations, où les protagonistes sont à la fois des individus profonds et les rouages déterminés d’une société. Une tranche de vie coupée non pas dans le temps mais dans l’épaisseur.

Ce qui est fascinant aussi chez l’auteur, c’est cette métatextualité*, cette mise en abyme vertigineuse d’où naît un sentiment de fantastique. Edouard, l’un des acteurs majeurs de l’intrigue, écrit un livre intitulé les Faux-Monnayeurs dans lequel un de ses personnages écrit un roman… cependant Edouard lui-même est le personnage des Faux-Monnayeurs de Gide. Et l’écrivain originel comme Edouard tiennent tous deux un journal d’écriture.

Cet objet est d’ailleurs bien plus qu’une annexe du roman, c’en est la pièce maîtresse. Comme le dit Edouard, c’est moins « ce pur roman que du reste il ne parviendra jamais à écrire » que la genèse de ce roman qui importe. On entre dans une conception de l’œuvre comme objet interminable et sans cesse fuyant, une conception très blanchotienne. L’œuvre littéraire devient une entité fantastique, mais aussi peut-être un ami qui nous suit toute la vie, y compris dans son absence.

C’est aussi dans ce journal qu’on apprend l’errance de l’auteur quant à son projet au sujet indéfinissable, tantôt du côté de la fiction tantôt du côté de la retranscription du réel. Son oeuvre finit par se définir en se problématisant : le sujet des Faux-Monnayeurs, c’est cette tension entre le réel et les représentations qu’on s’en donne.

Et tout dans ce projet illustre cette tension : la dialectique entre le journal et le roman, la nature problématique de ces deux objets pris indépendamment, le vertige métalittéraire**, ainsi que les thèmes qui fondent et préoccupent les personnages. Cette mixture de brouillard social, sémantique, épistémique et métaphysique se condense dans la figure du diable, à peine perceptible, suffisamment absente pour qu’on ne croit pas en elle, et ainsi, advenir. Pour le pire.

Texte : Charlie PLÈS.

« Les Faux Moyanneurs », d’André Gide, Gallimard,1925. 377 pages.

*Métatexualité: phénomène de lecture au cours duquel des procédés textuels poussent le lecteur vers une perception critique de l’univers fictif.

** Métalittéraire : Dépassant le littéraire, intégrant l’essai à la fiction par exemple.

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