L’Espèce humaine de Robert Antelme est un témoignage de ses quelques longues années à Gandersheim, un camp de concentration. C’est aussi une réflexion poignante sur ce qui fait la spécificité de la nature humaine.
Une déshumanisation méthodique
En ces lieux, pas de zyklon B ni de four crématoire. La mort se fait par la faim, le froid, l’épuisement. Robert Antelme relate le calvaire que lui et les autres prisonniers ont subi : le froid et la faim constants, mais aussi les poux, véritable fléau dont Antelme nous illustre les plus horribles détails dans des pages éprouvantes. Ce sont encore les coups, les insultes, la déshumanisation méthodique et systématique entreprise par les SS et par les kapos, prisonniers qui, en échange de récompense, servent de bourreaux de proximité.
Antelme raconte aussi la guerre vécut de l’intérieur du camp, l’approche des troupes russes qui va mener à leur libération, après bien des épreuves, notamment le pèlerinage depuis Gandersheim jusqu’à Dachau, véritable chemin de croix qui dévorera les rangs des prisonniers dans une marche forcenée et sans fin, où le moindre signe de faiblesse vaut l’abattage immédiat.
La limite d’un pouvoir destructeur
Malgré toute l’horreur, Antelme constate que l’espèce humaine dans son unité n’a jamais été plus évidente que quand les SS se trouvent démunis face au mort qu’ils ne peuvent pas poursuivre, et trouvent ainsi la limite à leur pouvoir : on peut tuer un homme, on ne peut pas le changer en autre chose. Les rares sursauts de colère, de révolte et de solidarité des prisonniers n’en sont que plus émouvants.
Antelme est sans concession. Ce que nous catégorisons ordinairement « d’inhumain », il nous faut à présent le considérer avec autant d’horreur que de lucidité comme faisant partie du champ du possible de l’Homme. Cette reconnaissance ultime et essentielle, indépassable, entre l’homme-objet et le SS, témoigne que la monstruosité n’est en définitive rien de plus — et rien de moins — qu’une question de responsabilité. Ainsi, dans ce choix perpétuel qu’est l’existence humaine, le pire sera toujours confronté au meilleur.
Éprouvant, mais d’utilité publique, comme tous les écrits des camps. À garder en mémoire à tout jamais.
Texte et illustration : Charlie PLÈS.