Les petits chaos quotidiens de Sarraute

Nathalie Sarraute étudie les petits drames qui se jouent quotidiennement en nous dans Tropismes (1939), son premier livre qui donne sa première impulsion au reste de son œuvre.

            Le projet des Tropismes était particulièrement ambitieux puisqu’il s’agissait de rendre compte de ces états où nous plonge notre conscience et qui ne sont pourtant qu’au seuil de celle-ci, des états instantanés ou duratifs, violents ou à peine décelables. Le terme de « tropisme » renvoie d’ailleurs à un concept de la psychanalyse qui désigne cette sorte de micro-maladie de la conscience.

            Paradoxalement, Sarraute cherche à se démarquer de la psychanalyse et, en tant que patricienne du Nouveau Roman, de la conception balzacienne du roman, c’est-à-dire le roman traditionnel avec ses personnages, son décor, son action, son intrigue… Les Tropismes sont de très courts récits dont la focalisation, profondément interne, se fait pourtant passer pour extradiégétique* en réduisant le personnage à un pronom à la troisième personne. Très peu d’indications sont données sur la situation et l’identité du personnage, de sorte que le tropisme qui y est vécu acquiert une certaine universalité.

            Ces petites expériences, des drames à petite échelle, amplifiées par la conscience qui les vit, peuvent être reconnues par chaque lecteur : le sentiment d’appartenir à une masse, le malaise d’une conversation bloquée, l’obsession d’obéir à des codes, l’oppression des autres qui nous réifient…

            Si le personnage disparaît formellement, figurativement, le talent de Sarraute pour donner corps à l’invisible et à l’indicible lui confère une nouvelle existence et une présence plus forte que celle du personnage traditionnel. Dépouillé de sa chair, de sa vie et de son nom, il ne reste au personnage que ce qui le fait pleinement exister : son mouvement intérieur, que suit le lecteur, entraîné par le chaos de la conscience.

Texte et illustration : Charlie PLÈS.

* En littérature et au cinéma par exemple, on utilise le terme extradiégétique pour décrire un son, un personnage, des paroles, présents dans le livre, le film, mais extérieurs à la narration ou à la scène. 

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