Le Déclic est un titre culte de la BD érotique de Milo Manara (première parution en 1984). Mais depuis les années 80, années où sont publiés les différents tomes, les représentations de la sexualité ont évolué et surtout la conscience de la domination masculine et de la culture du viol obligent à un regard beaucoup plus critique de ce type de production.
Une femme très chaste, Claudia, se voit introduire dans le cerveau une puce électronique reliée à un appareil qui déclenche chez elle de furieuses pulsions libidineuses
Aujourd’hui, cette lecture suscite une vraie réflexion sur la place de l’éthique dans l’art. En tant que partisan d’un art amoral, on peut défendre l’idée qu’une oeuvre ne serait jamais soumise aux règles de la morale, et que dans le monde de la fiction et du fantasme, tout est permis dans la mesure où il s’agit de personnages de papier et non de personnes réelles. C’est le propos de Manara dans sa préface : respect absolu de la loi, refus absolu de la censure.
Et pourtant… Ce qui dans Le Déclic pouvait produire de l’excitation ou de la drôlerie produit désormais plutôt de la gêne
Il faut dire qu’il s’agit d’un érotisme qui a mal vieilli. On est dans le bon vieux cliché de la femme objet, et les rares pages qui suggèrent que le personnage de Claudia, par son désir, affirme sa liberté et sa puissance, entrent en contradiction avec cet élément essentiel : Claudia n’est pas maîtresse de son désir, déclenché par un appareil manipulé par des hommes. En témoigne la honte qui la ravage et la mène aux larmes et aux cris chaque fois que l’on éteint l’appareil.
Autre souci : le dessin de Manara, très réaliste, très juste dans les formes et les expressions. Ce trait en coup de scalpel entraîne un clair manque de distance humoristique par rapport aux violences sexuelles commises, qui paraissent alors très premier degré.
Manara reste assez soft dans ses situations comparé à ce qu’a pu faire Gotlib par exemple : mais justement, là où Gotlib se déchaîne dans le grotesque et la caricature, et rend comique la pornographie, la retenue de Manara et son souci du réalisme le confine au voyeurisme malsain, sadique, et en un mot, douteux.
Quand on connaît le succès du Déclic, il n’est pas dur de supposer que Manara, qu’il l’ait voulu ou non et comme beaucoup d’autres avant et après lui, ait pu contribuer à la culture du viol dont le procès Mazan nous a révélé les effroyables conséquences.
Texte et illustration : Charlie PLÈS.
Tome 1 : Une femme sous influence (1984), tome 2 (1991), tome 3 (1994), tome 4 (2001). Ouvrages déconseillés aux moins de 18 ans.