Justine ou les malheurs de la vertu (1791) est le premier livre publié du vivant de Sade, et la deuxième version (après Les Infortunes de la vertu) de l’histoire de Justine, cet archétype de la vertu vouée aux malheurs, démonstration vivante de la supériorité du vice et de l’injustice fondamentale de l’existence. Justine est peut-être l’œuvre la plus emblématique du marquis.
Sade est vraiment un ovni de la littérature, et cette deuxième version de l’histoire de Justine contient tous les éléments de cette œuvre hors normes : la fiction romancée, les tableaux pornographiques, et le discours philosophique.
Sade narrateur prend le parti du bien
Comme dans tous ses livres publiés de son vivant, Sade narrateur prend le parti du bien. L’imposture est un peu grossière dans la mesure où l’histoire de Justine est une fable qui montre la souveraine injustice de Dieu, et la prospérité du vice (pour paraphraser le titre de l’histoire de sa sœur Juliette).
Autrement dit chez Sade, ce sont les méchants qui gagnent car c’est dans la nature des choses. Ces personnages, desquels fut forgée l’épithète « sadique », récompensent chaque bonne action de Justine par un rapt, un viol, de la torture, des tentatives de meurtre, de la séquestration etc.
Sade serait sans doute plus complexe si, comme Bosch, il ne peignait autant le mal que par dévotion au bien. Mais il cache à peine sa complaisance à faire souffrir la jeune fille de mille manières.
Confrontation à une pensée radicale et terrifiante
Ce qui reste plaisant dans la lecture de Sade, c’est la confrontation à une pensée radicale et terrifiante (qui selon certaines théories aurait inspiré le nazisme) : autocratie des pulsions, droit naturel du fort sur le faible, l’idée de Dieu comme la faute originelle de l’homme qu’il doit réparer par l’exercice d’une négativité absolue… Sade est pleinement un révolutionnaire sans cependant s’inscrire aucunement dans l’humanisme des Lumières.
L’étalon de l’existence n’est pas l’humain, ni Dieu, c’est la Nature dans toute sa cruauté, son hasard, son injustice. Et il est grisant d’affronter cette pensée et d’en déjouer les pièges. Car une lecture attentive montre bien vite que les fondements de Sade ne tiennent pas.
Texte et illustration : Charlie PLES.