Fiodor Dostoïevski est peut-être le plus grand écrivain russe ; son œuvre présente de multiples facettes, de longs romans comme des nouvelles ou des récits autobiographiques. L’Esprit souterrain (1886) est une œuvre assez peu connue puisque fabriquée artificiellement ; c’est pourtant une création éditoriale intéressante.
L’Esprit souterrain est en fait la réunion, par les traducteurs de Dostoïevski, de deux nouvelles : La Logeuse et les Carnets du sous-sol. Mais la réunion de ces textes n’est pas la seule modification qu’ils y aient apportée ; ils ont également renommé les nouvelles pour en faire les deux parties d’un roman : « Katia » et « Lisa », les personnages féminins respectifs de deux récits. Ils ont encore modifié ou supprimé des passages des préambules, réécrit la fin et modifié le chapitrage, ont enfin ajouté une référence au premier texte dans le deuxième afin que le tout constitue un texte cohérent.
On ne peut donc pas vraiment dire que L’Esprit souterrain soit de Dostoïevski ; c’est une création à partir de ses textes, que ses traducteurs ont jugé bon de rassembler pour des questions de thématiques, et pour faire apparaître l’évolution significative d’un personnage, là où il n’y avait que les destins séparés de deux personnages distincts.
L’Esprit souterrain pose donc une question intéressante : doit-on respecter jusqu’au bout la sacralisation de l’œuvre d’un écrivain, en particulier d’un « grand écrivain » ? La composition de créations nouvelles à partir de textes préexistants n’est-elle pas l’un des moteurs de la littérature contemporaine, qui se nourrit des réseaux sociaux et de tous les médias, dans une intertextualité constante ? Qu’est-ce qui est littéraire et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Et quel place préserver à l’auteur dans une littérature qui, de plus en plus, adopte des dynamiques de recyclage, de mosaïques, de ready-made ?
La sainte figure du créateur reléguée au fond du souterrain ?…
Texte et illustration : Charlie PLES.