Auteur de près d’un cinquantaine d’ouvrages et récompensé par l’Académie française avec le Grand Prix de la Francophonie en 2021, l’écrivain haïtien Frankétienne est décédé le 20 février 2025. L’occasion pour Vitav de revenir sur l’une de ses dernières œuvres : Chaophonie, paru en 2015.
Un texte de mise en relation

Si Chaophonie est un court essai irrigué d’une poésie sonore, il s’agit surtout un dialogue entre Frankétienne, à Port-au-Prince, et son fils à Montréal. Dans la préface de cet ouvrage, ce dernier réclame cette mise en relation par-delà l’océan. Dans ce texte, Frankétienne adopte ainsi une posture de poète en prise avec la création littéraire et la souffrance contemporaine tout en revêtant la casquette de père-guide. Circulant de son fils vers Frankétienne, puis de Frankétienne vers son fils, Chaophonie est ainsi une œuvre de filiation, de transmission.
Un portrait lyrique et tragique d’Haïti
Pour donner à son fils des nouvelles d’Haïti, Frankétienne présente son pays insulaire à travers la métaphore du corps féminin. Il s’épanche moins sur les paysages haïtiens ravagés par les aléas climatiques que sur ses aspects sociaux et politiques : les malheurs contemporains de l’île prennent racine dans la violence de son histoire, de l’esclavage à la dictature. L’écriture du poète se fait dénonciation d’une modernité destructrice. En effet, le chaos et la cacophonie annoncés par le titre de l’œuvre sont autant ceux qui règnent à Haïti, et dans le monde, que ceux d’une poésie véhémente et bruyante tente de s’y confronter, pleine d’images et de sonorités qui lui confèrent toute sa puissance évocatrice.
La place de la poésie et du poète
Ce texte est aussi l’occasion, face aux souffrances du peuple haïtien, d’interroger le rôle du poète et le pouvoir de son art. Le poète, face à ce monde en perdition, prend le risque de se confronter au chaos à travers un cri de colère qui manifeste aussi toute son impuissance. « Pourtant, une seule phrase dans un livre peut bien sauver toute l’humanité. L’écriture implique un risque majeur entre l’urgence de dire et le feu du silence » (Chaophonie, p. 10). En dépit de toutes ses difficultés et de tous ses mystères, la poésie est envisagée comme une possibilité de dire et de sauver le monde.
Texte et photos : Alex ALIX.
Frankétienne, Chaophonie, Mémoire d’encrier, 2015, 90 pages.