« Boule-de-suif est un chef-d’œuvre », disait Flaubert à propos de la nouvelle écrite par son disciple Guy de Maupassant et publiée en 1880. En effet, Boule-de-suif est un pilier de l’œuvre de ce grand écrivain.
Une tragédie tristement moderne
Si Flaubert a tant apprécié cette œuvre, ce n’est pas seulement pour son style efficace et moderne, mais aussi pour son art de la composition, pour le portrait formidablement drôle de ses personnages, et enfin, pour l’ambiguïté de son atmosphère.
Une voiture est retenue dans un hôtel par un officier allemand qui refuse de laisser partir les passagers sans avoir couché avec Boule-de-suif. Après l’indignation générale, les compagnons de voyage de la jeune femme vont tenter de la persuader d’obéir, fatigués d’être ainsi retenus prisonniers. Après tout, quel problème pour elle ? Boule-de-suif n’est-elle pas une prostituée ?
Oui, Boule-de-suif est bien une « fille », comme on disait alors, mais une fille qui a sa dignité de française fort patriotique. C’est ainsi que le texte prend un enjeu plus fort qu’il ne paraît en avoir. La prostituée peut-elle vraiment être réduite à un morceau de viande, ou bien faut-il accepter que même les travailleuses du sexe possèdent leur fierté et leur humanité ?
Lorsqu’elle cède finalement, convaincue par les arguments des autres qui font apparaître son corps comme une arme pour la France, Boule-de-suif est finalement reniée, exclue, moquée. « Elle pleure sa honte », murmure-t-on, mais c’est bien plutôt sa dignité, seul bien qui lui restait après avoir partagé ses vivres, qu’elle regrette amèrement.
Caricatures, comique de situation et de langage, tout semble appeler à la comédie. Mais la fatalité du sort de Boule-de-suif, héroïne et victime réduite à sa condition sociale, font de cette nouvelle une tragédie qui demeure tristement moderne.
Texte et illustration : Charlie PLÈS.