Chef d’œuvre inachevé de Fernando Pessoa, l’écrivain aux cent noms, Le Livre de l’intranquillité (1982) ne nous est parvenu qu’à l’état de fragments disparates, mais c’est justement ce qui en fait le mythe. Nous ne disposons que de l’ébauche, des morceaux d’une œuvre plus vaste et irréalisable.
On voit mal comment Le Livre de l’intranquillité aurait pu constituer un tout fini tant il semble sans limites, dans le flux perpétuel d’une pensée qui ne trouve ni origine ni aboutissement.
Bernardo Soares, l’hétéronyme qui endosse la charge d’auteur du Livre de l’intranquillité, est un bureaucrate dépressif, qui « gît sa vie » : aucune action, une contemplation très froide, le cours de ce livre pourrait n’être qu’une eau glacée stagnante, s’il n’était pas perclus de contradictions.
Soares apparaît le plus souvent comme un esprit torturé ou indifférent, un être « à part » qui a conscience de la vanité de l’existence là où tous les autres bassinent dans le vulgaire du plaisir et de la satisfaction… bref Soares n’est pas un être très sympathique et devient parfois franchement ennuyant à force de spleen poussif et pompeux.
Le livre achevé devait-il témoigner d’une évolution ?
Mais de temps en temps surviennent des fulgurances, de brefs accès à la vie et au bonheur simple, avant qu’il ne retombe dans sa mélasse mélancolique. Le livre achevé devait-il témoigner d’une évolution, d’une délivrance, d’une acceptation de la vie ? Bernardo Soares était-il destiné selon Pessoa à trouver enfin la tranquillité ?
L’histoire en aura décidé autrement, et dans tout ce long chaos, même la lumière est bien morne…
Texte et illustration : Charlie PLÈS.